On peut rire de tout mais pas dans toutes les circonstances

20 09 2012

Retraçons les faits simplement : un extrait (treize minutes tout de même) d’un long-métrage en fait inexistant, L’Innocence des musulmans, est mis en ligne sur internet, par des islamophobes qui, non contents d’être a l’origine d’une poudrière, se cachent derrière des noms d’emprunt et semblent avoir trompé certains protagonistes emportés bien malgré eux dans cette affaire. Il faut avoir vu quelques minutes du film pour comprendre la bêtise et l’amateurisme de ceux qui l’ont produit. Pour quiconque avec un peu de recul, le film insulte bien plus ses auteurs qu’une religion mais la n’est pas la question. Suite a la propagation de cette parodie de film sur les réseaux sociaux et sur certains médias arabes, la colère monte rapidement chez certains musulmans, probablement orchestrée par des mouvances radicales. Et les violences suivent, la mort de l’ambassadeur américain en Lybie n’ayant apparemment pas rassasié la colère des extrémistes, bien au contraire. Alors que le gouvernement américain tente tant bien que mal d’endiguer ces violences vis-à-vis de ses compatriotes dans le monde arabe en condamnant notamment la provocation stupide de ces images, Charlie Hebdo décide de publier ce mercredi 19 septembre de nouvelles caricatures de Mahomet au nom de l’actualité et de la sacro-sainte liberté d’expression.

Tout d’abord je différencie bien sur un journal comme Charlie Hebdo – dont l’impertinence a toujours été la marque de fabrique et qui a toujours revendiqué un ton libertaire et anarchiste – avec une production dont l’objectif est clairement l’attaque de l’Islam part des manœuvres dignes d’extrémistes. Mais j’en viens a la raison de ces quelques lignes : était-il nécessaire de publier ces caricatures dans ce timing ?
La rédaction de Charlie Hebdo aura probablement deux principales lignes de défense pour justifier la parution de ces caricatures : la sacro-sainte liberté d’expression qui ne doit être remise en cause selon aucun critère et la démonstration par la preuve :  » si nos écrits engendrent les violences ou le menaces de morts de certains musulmans, il est d’autant plus important de les oublier car cela prouve l’obscurantisme de ces extrémistes « .

Aux deux arguments, je répondrais qu’ils sont fallacieux car tout homme épris de liberté et d’ouverture d’esprit ne pourrait que les accepter. Mais il ne s’agit pas de les remettre en cause, plutôt d’axer le débat sur un autre terrain. Aux idéalistes et aux théoriciens, il faut répondre pragmatisme et réalité et poser la question un peu brutalement : Jusqu’où iraient vos idéaux de liberté ? Prêts à mourir pour les défendre, certes, encore que nombre des journalistes concernés ne voudraient pas aller jusque ces extrêmes et nous les comprenons ! Mais prêts à envenimer une situation et contribuer à la possibilité de représailles vis-à-vis de compatriotes à l’étranger ?

Par ailleurs, et pour mieux cerner la flambée des violences sans chercher à les excuser, il faut aussi comprendre que nombre des manifestants sont instrumentalisés d’une part par certains médias locaux, d’autre part par les organisations terroristes ou certains leaders extrémistes. Par les médias locaux, qu’ils soient à la solde de gouvernements anti-américains ou qu’ils fassent un mauvais travail caricatural (comme de nombreux journalistes occidentaux dans l’autre sens), assimilant les provocations d’un stupide producteur ou l’humour corrosif d’un journal à l’opinion publique des pays concernés. Et par les organisations fondamentalistes qui voient là un terreau parfait pour rassembler autour d’un ennemi commun. L’apparition publique au Liban du leader du Hezbollah en est l’illustration parfaite.

Encore une fois, il ne s’agit pas de mettre sur une même échelle les provocations des uns et les violences des autres. Sous aucun prétexte je ne remettrais non plus en cause la liberté d’expression : tout donc sauf infliger une peine ou une interdiction de paraitre au journal. Mais dans une logique de débat et d’ouverture d’esprit, j’aimerais juste poser la question de l’humain à ces grands pourfendeurs de la liberté individuelle : est-il vraiment opportun dans un tel contexte d’appuyer là où ça fait mal au mépris des conséquences ? Ne faut-il pas faire acte parfois de discernement et tenir compte du contexte ? C’est une question pas si évidente car, bien sur, le risque est de céder au chantage des extrêmes. Mais, sans faire ici un procès d’intention, il est permis de s’interroger sur la pertinence d’une telle publication. N’a-t-on pas ainsi aidé a déclencher des propos extrêmes (a lire certains commentaires sur les articles de journaux modérés) visant a exacerber une nouvelle fois l’Islam, faisant le jeu des fondamentalistes de tous bords ?

Comme le disait si bien Desproges que l’on ne saurait taxer de « bienpensance » ou de conformisme : « On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde. ». On pourrait peut-être y ajouter, simplement, « pas dans toutes les circonstances. »